Indications de la vidéo-otoscopie dans la gestion des otites chroniques

L’otite externe est une affection dermatologique très fréquente et bien souvent récidivante qui, lorsqu’elle n’est pas traitée, évolue en otite chronique puis en otite moyenne. Lors d’otites chroniques, les otites moyennes sont très souvent sous-diagnostiquées. Il devient indispensable de faire un bilan dermatologique complet, un examen du conduit auditif externe et un examen du tympan.

 

Qu’est-ce que la vidéo-otoscopie ?

L’observation du conduit auditif à l’otoscope est très souvent insuffisante. En effet, l’examen otoscopique classique montre ses limites à cause d’un faible éclairage, d’une absence de grossissement suffisant, et de la présence d’hyperplasie et de cérumen en quantité souvent abondante lors d’otite chronique, gênant la visualisation du tympan.

La vidéo-otoscopie consiste en l’introduction d’un endoscope dans le conduit auditif afin de visualiser les parois du conduit, le tympan et une partie de la bulle tympanique. Elle va nous permettre de visualiser de façon optimale les lésions présentes dans le conduit auditif, d’établir un diagnostic d’otite externe et/ou moyenne (aspect du tympan) et d’effectuer des interventions diagnostiques et thérapeutiques.

Le matériel

Le vidéo-otoscope consiste en un otoscope à fibre optique relié à un écran.

L’embout otoscopique est muni d’un canal opérateur par lequel il est possible d’irriguer, en continu si l’on est équipé d’une pompe, d’aspirer, de passer des instruments pour nettoyer, et intervenir dans le conduit et à proximité de la membrane tympanique.

Photo 1 : Vidéo-otoscope et pompe à irrigation/aspiration

Photo 2 : Embout de l’otoscope avec canal opérateur,
source lumineuse et branchement à l’endoscope

 

 

 

 

 

 

 

 

Par ailleurs, le système vidéo permet de réaliser des clichés et des vidéos constituant un outil indispensable de suivi et de communication auprès des propriétaires.

Déroulement d’une séance

L’examen nécessite un nettoyage préalable du conduit auditif avec une solution non-ototoxique, l’intégrité du tympan n’ayant pas été établie avec certitude. Par exemple une solution NaCl 0,9% est très souvent choisie.

L’animal est anesthésié. Les otites chroniques étant fréquemment sensibles, prurigineuses voire douloureuses, les mouvements de tête occasionnés par l’introduction de l’embout otoscopique dans le conduit peuvent provoquer des traumatismes de l’oreille.

L’animal est également intubé à cause des risques de fausse déglutition dans le cas de tympan ouvert. En effet, les liquides d’irrigation instillés en grande quantité peuvent passer par la trompe d’Eustache et s’introduire dans le nasopharynx.

L’otoscope est introduit délicatement dans le conduit par le méat acoustique.

Photo 3 : Vidéo-otoscopie sur un chat anesthésié et intubé.

Il se peut qu’une hyperplasie trop conséquente empêche l’introduction de l’embout. Il est indispensable de différer l’examen et de prescrire une corticothérapie par voie orale afin de réduire cette hyperplasie.

Place de l’imagerie médicale

L’imagerie médicale a pour objectif de mettre en évidence des lésions du conduit auditif externe, de l’oreille moyenne et de l’oreille interne, comme des calcifications du cartilage, des tumeurs, une otite moyenne, une ostéomyélite etc…

La radiographie de l’oreille est un outil facile et utile dans le diagnostic d’une otite notamment lors de tumeur, ou d’une otite moyenne. Cependant, son manque de sensibilité et son risque élevé de faux négatifs (20 à 30%) place cet examen au second plan par rapport à la tomodensitométrie, surtout dans le diagnostic d’otite moyenne.

Un examen tomodensitométrique (scanner) reste indispensable pour réaliser un bilan lésionnel complet et ainsi détecter la présence d’un contenu liquidien ou tissulaire dans la bulle tympanique, de calcifications du cartilage, de façon beaucoup plus sensible que la radio. Les résultats de nombreuses études montrent que l’examen tomodensitométrique est plus sensible et spécifique pour le diagnostic des otites moyennes chez le chien que l’examen radiographique car il permet une visualisation plus précise des lésions osseuses. En revanche, la sensibilité reste parfois faible dans le cas de remaniements discrets des tissus mous pouvant conduire à des faux-négatifs. Dans ce cas, l’imagerie par résonance magnétique (IRM) est plus indiquée mais reste peu accessible.

Photo 4 : Otite moyenne gauche : contenu sous forme d’images linéaires dans la bulle tympanique gauche.

Photo 5 : Bulles tympaniques presque entièrement oblitérées par du liquide avec plages aériques dorsales, parois fines, structures osseuses régulières d’aspect usuel.

 

 

 

 

 

 

 

 

La vidéo-otoscopie : un outil diagnostic

Comme cela a été évoqué précédemment, l’examen vidéo-otoscopique permet une exploration du conduit auditif externe, et ainsi visualiser de façon quasi parfaite les structures anatomiques et d’éventuelles lésions.

Visualisation quasi parfaite du conduit auditif externe

Il est devenu possible d’observer de façon quasi parfaite des ulcères, de l’hypersécrétion et ainsi d’en apprécier la couleur et la consistance, la présence de corps étrangers (épillets par exemple), une hyperplasie, des masses exophytiques (polypes, tumeurs…) que l’on pourra biopsier ou réséquer.

Photo 6 : présence de sécrétions en quantité abondante dans le CAE

Photo 7 : Hyperplasie du CAE

Photo 8 : Polype

Photo 9 : Ulcères sur  la paroi du CAE

 

 

 

 

 

 

Visualisation de structures plus profondes

La membrane tympanique est soigneusement observée : son aspect, sa couleur, sa transparence, sa forme. La membrane tympanique normale est fine, transparente et de couleur grisâtre.

Photo 10 : Tympan d’aspect normal

Photo 11 : tympan ouvert

 

 

 

 

 

 

 

Lorsque le tympan est ouvert, il est même possible d’observer une partie de la bulle tympanique. En basculant l’otoscope en arrière et ventralement, on peut visualiser le promontoire et l’abouchement de la trompe d’Eustache. Cependant, les structures sont souvent remaniées de façon sévère et ces structures ne sont pas visualisées.

Le score OTIS3

L’observation otoscopique des conduits auditifs externes dans la cadre d’otites externes permet une évaluation des lésions et de leur évolution. Les otites peuvent se traduire cliniquement par la présence de 4 critères lésionnels : l’érythème, les sécrétions (cérumen ou suppuration), l’hyperplasie et l’ulcère. Afin de pouvoir estimer la gravité de l’atteinte, une échelle simple a été mise en place et validée dans le cadre de la recherche clinique. Cette échelle, OTIS3 (Otitis Index Score) se base sur l’observation de chacun des critères dont la sévérité lésionnelle est notée de 0 à 3.

 Pour une utilisation plus aisée et reproductible par les praticiens, le groupe de réflexion EARCO (Expert Advisory Recommandations on Canine Otitis) a établi une illustration de l’OTIS3.

Photo 12 : Planches d’illustration score OTIS 3

 

Sur un score total de 12, l’atteinte est considérée comme pathologique lorsque le total lésionnel est supérieur ou égal à 4, avec une sensibilité de 91% et une spécificité de 100% (Nuttal T, Bensignor E. Vet Dermatol 2014). Cependant, la présence d’hyperplasie et d’ulcère est pathologique, aussi discrète soit-elle, et doit nécessiter une prise en charge thérapeutique.

Cette échelle lésionnelle illustrée permet de fournir aux praticiens généralistes une grille de lecture et s’intègre dans une démarche rigoureuse de la gestion des otites. Utile lors de la première consultation, la note lésionnelle OTIS 3 l’est tout autant lors des visites de suivi car elle permet de quantifier l’évolution et l’efficacité du traitement mis en place.

La myringotomie (ou paracentèse ou incision de la membrane tympanique)

La myringotomie consiste à effectuer une incision chirurgicale de la membrane tympanique intacte afin d’effectuer un prélèvement. Le prélèvement peut être utilisé pour effectuer un examen cytologique ou bactériologique.

La myringotomie doit être réalisée sous contrôle vidéo-otoscopique.

On utilise une aiguille à myringotomie ou à défaut, une aiguille à ponction lombaire de 22G, un cathéter ou une sonde urinaire dont l’extrémité est coupée en biseau.

Photo 13 : aiguille à myringotomie

Photo 14 : vue rapprochée de l’extrémité de l’aiguille à myringotomie

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette aiguille est insérée jusqu’à la membrane tympanique pour la traverser dans le cardant inférieur caudal de la pars tensa, soit 5-7 heures. Une seringue est connectée à l’extrémité pour pouvoir instiller une petite quantité de solution isotonique stérile puis ré-aspirée ce qui facilitera l’aspiration si le contenu est trop visqueux. Une fois le contenu aspiré, un drainage abondant est réalisé afin de nettoyer de façon quasi parfaite la bulle tympanique.

Photo 15 : Myringotomie

La vidéo-otoscope : un outil thérapeutique

Le canal opérateur de l’embout otoscopique du vidéo-otoscope permet le branchement d’une pompe à irrigation/aspiration, ou le passage d’une sonde d’irrigation, ou d’instruments permettant des interventions à visée diagnostique, comme une pince à biopsie, ou thérapeutiques comme une otobrosse, une pince à préhension, une aiguille à myringotomie, une pince à polypectomie.

Myringotomie et rinçage de la bulle tympanique

Comme expliqué précédemment, l’ouverture du tympan nous offre la possibilité d’effectuer un rinçage complet de la bulle tympanique, d’évacuer le contenu purulent ou stérile lors d’otite moyenne primitive. En effet, une fois le contenu aspiré, un drainage abondant à la solution isotonique est réalisé afin de nettoyer de façon quasi parfaite la bulle tympanique.

L’instillation au sein de la bulle tympanique d’agents thérapeutiques comme des antibiotiques ou des corticoïdes peut être réalisée.

Nettoyage des conduits

Le nettoyage auriculaire est indispensable dans la plupart des cas d’otite. Il permet l’élimination des débris et sécrétions, de germes et de matériel purulent qui s’accumulent dans les conduits auditifs externes (CAE), facilitant l’application et le contact des topiques auriculaires. Lors d’otites chroniques, ces débris s’avèrent être en grande quantité et souvent très adhérents aux parois.

Le canal opérateur du vidéo-otoscope permet une irrigation continue abondante et l’évacuation les débris de façon très efficace. Grâce à une pompe reliée au canal opérateur (cf. photo 1), l’irrigation peut être continue et la pression est réglable. L’aspiration permet d’assécher le conduit une fois l’intervention terminée.

L’otobrosse permet de décoller les débris les plus adhérents aux parois.

Photo 16 : vue rapprochée de l’extrémité de l’otobrosse.

Photo 17 : nettoyage du CAE avec l’otobrosse

 

 

 

 

 

 

 

 

Les rinçages s’effectuent avec une solution isotonique NaCl à 0,9% jusqu’à visualisation du tympan. Il est fréquemment nécessaire de réaliser plusieurs rinçages sous contrôle vidéo pour obtenir un résultat satisfaisant et pérenne. La fréquence est d’un nettoyage sous contrôle-vidéo chaque semaine au début, puis ces derniers sont espacés en fonction de l‘évolution.

Prélèvement pour bactériologie

L’examen bactériologique avec antibiogramme est indiqué dans tous les cas d’otites chronique ou récidivante et dans le cas d’observation de bacilles à l’examen cytologique. Le prélèvement doit être effectué dans des conditions d’asepsie maximales afin d’isoler la bactérie pathogène responsables et non de simples contaminants. Une étude a montré des différences entre la flore bactérienne du conduit auditif externe et la bulle tympanique lors d’otite externe associée à une otite moyenne. Ces résultats illustrent l’intérêt de prélever dans la mesure du possible au sein de la bulle tympanique. Le décret du 16 mars 2016 réglemente l’utilisation des antibiotiques critiques, notamment l’utilisation des quinolones parfois utilisées dans la cadre d’otite moyenne.

Extraction de corps étrangers, biopsies et exérèse de masse

Chez le chat, une des premières causes d’otites chroniques est la présence de polypes dans le conduit auditif, voire le nasopharynx. Lors de l’examen vidéo-otoscopique, ils sont visualisés et retirés grâce à une pince à polypectomie.
Les pinces à biopsie permettent de prélever des échantillons de paroi ou de masse en vue d’un examen histopathologique.

Photo 18 : Pince à polypectomie

Photo 19 : vue rapprochée de l’extrémité de la pince à polypectomie

 

 

 

 

 

 

 

Conclusion

La vidéo-otoscopie bouleverse la démarche diagnostique et la prise en charge thérapeutique des otites car elle permet la visualisation très précise du conduit auditif externe ainsi que les structures plus profondes comme la membrane tympanique et une partie de la bulle tympanique. C’est un outil diagnostic très complémentaire des autres systèmes d’imagerie médicale et l’échelle lésionnelle OTIS3 permet d’objectiver et quantifier cette atteinte du conduit auditif externe. La prise de clichés et de vidéos constitue un excellent outil de suivi et de communication auprès des propriétaires. Il permet également d’intervenir directement et avec précision sur les structures concernées de l’oreille pour une prise en charge thérapeutique optimale.

La vidéo-otoscopie constitue pour toutes ces raisons un outil de choix dans la gestion des otites chroniques et récidivantes.

Bibliographie

  • Bensignor, P-A. Germain. Les maladies de l’oreille du chien et du chat. 2007. Les Editions du Point Vétérinaire. Reuil-Malmaison. 236p.
  • Prélaud « Otites chroniques. Les spécificités de l’espèce féline. » Proceeding AFVAC 2016.
  • Bensignor et al. Les dix incontournables en otologie du chien. Revue vétérinaire clinique. 2017, 52, 1-7.
  • M-C Cadiergues, L-A Lecru. Otite chronique. Prise en charge par un topique contenant une fluoroquinolone. L’Essentiel N°461/462 du 12 au 25 octobre 2017.
  • A Belmudes, C. Pressenti, P. Barthez, E. Castilla-Castano, L. Fabries, M-C Cardiergues. Computed tomographic findings in 205 dogs with clinical signs compatible with middle ear disease: a retrospective study. Vet Dermatol. 2018 Feb;29(1):45-e20
  • JJ Rohleder et al. Comparativ performance of radiography and computed tomography in the diagnois og middle ear disease in 31 dogs. Vet Radiol Ultrasound. 2006 ; 47(1) : 307-12
  • Cochet-Faivre, P. Prélaud, P. Hennet. Atlas de pathologie de l’oreille externe et du tympan. Vétoquinol. 2012.
  • Nuttal, E. Bensignor. A pilot study to develop an objective clinical score for canine otitis externa. Vet Dermatol. 2014 ; 25(6) : 530-7, e91-2
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